LDTR Genève : Importante jurisprudence


     


EN FAIT
Monsieur Daniel Mori est propriétaire de l'immeuble d'habitation sis 6, rue de Soleure à Genève, sur la parcelle n° 190, feuille n° 7, de la commune de Genève-Eaux-Vives.

Cet immeuble fait partie d'un ensemble protégé du début du XXe siècle. Il comporte actuellement vingt-deux logements destinés à la location, totalisant 71,5 pièces réparties sur six étages.

Le 17 décembre 2010, M. Mori a requis du département des constructions et des technologies de l'information, devenu depuis le département de l'urbanisme (ci-après : le département), une autorisation de construire définitive, dans le but de créer un appartement de 120 m2 (6 pièces) dans les combles inhabitées de l'immeuble (ci-après : l'appartement) et de procéder à la réfection des façades et de la toiture.

Cette requête a été enregistrée sous le n° DD 104'054-2.

Les préavis décernés ont été favorables, sous condition ou sans observations.

Dans son préavis du 15 février 2011, la commission des monuments, de la nature et des sites (ci-après : CMNS) a signifié son accord au projet, après une demande de modification de plan. Le conseil administratif de la Ville de Genève en a fait de même le 7 février 2011. Le 23 mai 2011, le service de l'énergie a demandé notamment que 30 % au minimum des besoins en eau chaude soient fournis par l'installation de capteurs solaires en toiture. Le service juridique chargé de l'application de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20 ; ci-après : le service LDTR) a admis, le 13 octobre 2011, la fixation d'un loyer maximum de CHF 7'347.- la pièce/an (soit un loyer total de CHF 3'673,50.-/mois) pendant une période de cinq ans pour l'appartement de 120 m2 à construire dans les combles, après un calcul fondé sur le coût des travaux envisagés, dont il résulte les éléments suivants :

Outre la création de l'appartement dans les combles, la réfection des façades et de la toiture, la rénovation touchait également les parties communes intérieures de l'immeuble (électricité CHF 30'000.- ; chauffage CHF 120'000.- ; ventilation CHF 5'000.- ; sanitaires CHF 30'000.-).

Les travaux de charpente étaient évalués à CHF 145'000.- pour les communs et à CHF 65'000.- pour l'appartement, ce à quoi il fallait ajouter la pose de panneaux solaires pour CHF 40'000.-. Le prix total des travaux envisagés était de CHF 1'029'300.- pour la réfection des communs et de CHF 682'600.- pour l'appartement.

Les surfaces du séjour et de la salle-à-manger de l'appartement étaient, respectivement, de 29,4 m2 et de 22,3 m2.

Le calcul du loyer opéré par le service LDTR figure dans une note technique dont la teneur est la suivante :

Travaux : Rénovation de l’immeuble et aménagement des combles



Coût des travaux retenu : Immeuble

Fr. 1'029'300.-

Combles

Fr. 682'600.-



Etat locatif avant travaux : 22 appartements = 71,5 pièces

Fr. 246'360.-



Calcul loyer art. 11 LDTR : Immeuble existant

Part à plus-value 70% : Fr.720'510.-

Taux hypothécaire : 2.75%+0,5%/2 : 1,625%

Amortissement 20 ans : 5,00%

Charge entretien : 1,50%

Rendement admis : 8,125%

Hausse théorique à l’année (71,5 pièces) : Fr.58'542.-

Hausse théorique à la pièce : Fr. 819.-

Combles

Part à plus-value 100% : Fr.682'600.-

Taux hypothécaire : 2.75%+0,5%/2 : 1,625%

Amortissement 30 ans : 3,333%

Charge entretien : 1,50%

Rendement admis : 6,458%

Loyer futur (6 pièces) : Fr.44'082.-

Hausse théorique à la pièce : Fr. 7'347.-



Etat locatif après travaux : Immeuble existant

22 appartements = 71,5 pièces

Fr. 275'799.-

Combles

Appartement de 6 pièces = Fr.44'082.- total/an, soit Fr. 7'347.- pièce/an

Le 7 novembre 2011, le département a délivré l'autorisation de construire requise.

Les conditions ressortant des préavis susmentionnés faisaient partie intégrante de l'autorisation.

Les loyers des logements existants ne devraient pas excéder, après travaux, ceux figurant dans l'état locatif du 11 octobre 2011 (enregistré par le département le 12 octobre 2011), cela pour une durée de trois ans à compter de la fin des travaux. Le loyer des neuf appartements dont le loyer à la pièce était déjà supérieur, avant travaux, à CHF 3'405.-/pièce par année, restait inchangé. En revanche, les loyers situés en deça de ce chiffre (treize logements), étaient augmentés de CHF 250.- à CHF 850.-/pièce par an environ.

Le loyer de l'appartement de 6 pièces créé dans les combles ne devrait pas excéder CHF 7'347.- la pièce par an pendant une période de cinq ans à dater de sa mise en location, soit CHF 44'082.-/an.

Cette autorisation a été publiée dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève le 1er novembre 2011.

L'Association genevoise des locataires (ci-après : ASLOCA) a recouru contre cette autorisation auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI). Elle contestait pour l'essentiel le fait que par son genre et son loyer, l'appartement à créer dans les combles réponde aux besoins prépondérants de la population au sens de l'art. 9 LDTR, ainsi que la durée du contrôle des loyers.

Par jugement du 24 avril 2012, le TAPI a rejeté le recours au terme d'une argumentation qui sera reprise dans la partie en droit ci-après.

Par acte du 7 juin 2012, l'ASLOCA a recouru contre ce jugement auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) en concluant à son annulation et à celle de l'autorisation de construire précitée.

La pénurie existant sur le marché locatif, pour les appartements de 6 pièces notamment, ne permettait pas de conclure que la construction projetée répondait « aux besoins prépondérants de la population » au sens de l'art. 9 LDTR. Un loyer aussi élevé que celui prévu pour l'appartement, de CHF 3'673,50 par mois, charges non comprises, (CHF 7'347.- la pièce par an, soit CHF 44'082.-/an : 12) n'était accessible qu'à 20 % de la population, car il fallait un salaire d'au moins CHF 10'000.- par mois pour pouvoir l'assumer. Le seul moyen de respecter la LDTR était de construire, sur la surface brute de plancher de 120 m2, plusieurs appartements plus petits, dont les loyers seraient inférieurs à CHF 2'000.- par mois.

Quant aux loyers des appartements existants, l'autorisation ne contenait aucune garantie que ceux-ci ne dépasseraient pas « CHF 3'500.- au maximum ».

Enfin, la durée du contrôle des loyers, fixée à cinq ans, était trop courte. Des logements nouvellement créés dans les combles d'immeubles constituaient des constructions nouvelles au sens de l'art. 12 LDTR, qui prévoyaient un contrôle des loyers d'une durée de cinq à dix ans. Alors que le département fixait auparavant cette durée à dix ans pour les immeubles reconstruits, ce dernier l'avait réduite à cinq ans depuis peu. Le coût des constructions d'appartements dans les combles était souvent supérieur à celui d'une nouvelle construction. Les loyers des appartements correspondants oscillaient entre CHF 6'000.- et CHF 8'000.- la pièce par an. Du fait que les investissements pour ces appartements étaient comparables à ceux des immeubles nouvellement construits, il se justifiait d'appliquer un contrôle des loyers d'une durée de dix ans pour préserver un marché locatif à des prix abordables.

Le 11 juin 2012, le TAPI a déposé son dossier.

Le 12 juillet 2012, le département a conclu au rejet du recours.

Selon la jurisprudence, un logement répondait « aux besoins prépondérants de la population » lorsque son loyer entrait dans la fourchette fixée par le Conseil d'Etat, soit lorsqu'il appartenait à la catégorie d'appartements où sévissait une pénurie. L'appartement de 6 pièces considéré entrait dans la catégorie des appartements pour lesquels une pénurie existait.

L'art. 9 LDTR n'exigeait pas la construction de plusieurs logements plus petits au simple motif que le loyer d'un appartement plus grand était moins accessible à la majorité de la population. Une telle interprétation allait à l'encontre de la ratio legis et de la lettre de la LDTR qui permettait aussi la construction de grands logements.

La durée du contrôle du loyer de cinq ans était le maximum autorisé par l'art. 12 LDTR, car la reconstruction à neuf des combles de l'immeuble était considérée par la jurisprudence comme une transformation lourde au sens de cette disposition et non comme une construction nouvelle.

Le même jour, M. Mori a déposé ses observations et conclu au rejet du recours ainsi qu'à l'octroi d'une équitable indemnité de procédure, pour des motifs qui se recoupent avec ceux développés par le département dans sa réponse.

Le loyer futur de tous les appartements (existants et de celui à créer) figurait dans un état locatif dont l'autorisation précisait qu'il était partie de celle-ci. Il était ainsi faux de soutenir qu'aucune garantie n'existait quant au montant desdits loyers. Le calcul des loyers figurant dans l'état locatif projeté respectait en tous points la LDTR. En effet, les loyers qui se situaient, lors du dépôt de l'autorisation de construire, dans la fourchette des loyers répondant aux besoins prépondérants de la population avaient été maintenus dans cette fourchette et ne dépassaient pas les CHF 3'405.- la pièce par an. Certains loyers demeuraient même inférieurs à ce montant. La possibilité donnée au propriétaire d'augmenter cette fourchette pour lui permettre de supporter les coûts des travaux n'avait pas été utilisée. De même, le coût de la construction du logement à réaliser dans les combles n'avait pas été répercuté sur les loyers des appartements existants. Le « loyer maximum de CHF 3'500.- / la pièce par an » avancé par l'ASLOCA était dépourvu de toute base légale.

Le 19 juillet 2012, le département a renoncé à requérir des mesures d'instruction complémentaires.

Le 20 août 2012, l'ASLOCA a persisté dans ses conclusions.

Le 21 août 2012, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT
Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable, l'ASLOCA disposant par ailleurs de la qualité pour agir au sens de l'art. 45 al. 5 LDTR (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; ATA/66/2013 du 6 février 2013 ; ATA/270/2012 du 8 mai 2012 consid. 3 ; ATA/130/2007 du 20 mars 2007 consid. 2 ; ATA/571/2006 du 31 octobre 2006 consid. 2 et les arrêts cités).

La recourante fait valoir plusieurs violations de la LDTR, notamment le non-respect du nombre de logements à réaliser. Elle conteste le montant trop élevé du loyer, la durée du contrôle fixée par le département et le fait que l'appartement à construire réponde aux besoins prépondérants de la population.

a. La LDTR s'applique à tout bâtiment situé dans l'une des zones de construction prévues par l'art. 19 de la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire, du 4 juin 1987 (LaLAT - L 1 30) ou construit au bénéfice d'une norme de l'une des quatre premières zones de construction en vertu des dispositions applicables aux zones de développement (art. 2 al. 1 let. a LaLAT), et comportant des locaux qui, par leur aménagement et leur distribution, sont affectés à l'habitation (art. 2 al. 1 let. b LaLAT).

b. Elle a pour but de préserver l’habitat et les conditions de vie existants, ainsi que le caractère actuel de l’habitat dans les zones visées expressément par la loi (art. 1 al. 1 LDTR). La loi prévoit notamment à cet effet, tout en assurant la protection des locataires et des propriétaires d'appartements, des restrictions à la démolition, à la transformation et au changement d'affectation des maisons d'habitation (art. 1 al. 2 let. a LDTR). Plus spécifiquement, la LDTR vise à éviter la disparition à long terme de logements à usage locatif (Arrêt du Tribunal fédéral 1P.406/2005 du 9 janvier 2006 consid. 3.3).

Selon l'art. 9 al. 1 LDTR, une autorisation est nécessaire pour toute transformation ou rénovation. Par transformation, il faut notamment entendre la création de nouveaux appartements dans les combles (art. 3 al. 1 let. b LDTR).

Les travaux autorisés par la décision entreprise visent notamment la construction d'un logement de six pièces dans les combles. Ils constituent des travaux de rénovation au sens de cette disposition. Une autorisation est donc nécessaire.

L'autorisation est accordée notamment lorsque les travaux permettent la réalisation de logements supplémentaires (art. 9 al. 1 let. c LDTR).

Selon la jurisprudence, la notion de « logements supplémentaires » vise également, malgré le pluriel utilisé par le législateur, la création d'un seul logement (ATA/66/2013 du 6 février 2013 consid. 4).

L'interprétation de la recourante selon laquelle la disposition précitée impliquerait nécessairement la construction de plusieurs appartements ne saurait ainsi être retenue.

Selon l'art. 9 al. 2 LDTR, le département accorde l’autorisation si les logements concernés répondent, quant à leur genre et leur loyer, aux besoins prépondérants de la population ; il tient compte, dans son appréciation, des éléments suivants :

a) du genre, de la typologie et de la qualité des logements existants ;

b) du prix de revient des logements transformés ou nouvellement créés, notamment dans les combles ;

c) du genre de l’immeuble ;

d) du nombre de pièces et de la surface des appartements ainsi que de la surface des logements nouvellement créés ;

e) des exigences liées à l’objectif de préservation du patrimoine.

La jurisprudence a déjà précisé que la création d'appartements atteints par la pénurie répondait aux besoins prépondérants de la population quant à leur genre (ATA/66/2013 précité consid. 5a ; art. 9 al. 2 let. a LDTR).

Sont touchés par la pénurie les appartements qui comportent entre 1 et 7 pièces (art. 1 al. 1 de l'arrêté déterminant les catégories d’appartements où sévit la pénurie en vue de l’application des art. 25 à 39 de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation du 20 mars 2013 - ArAppart - L 5 20.03).

L'appartement de 6 pièces dont la construction est envisagée répond ainsi, de ce point de vue, aux besoins prépondérants de la population.

a. Selon l'art. 11 al. 1 LDTR, le département fixe le montant des loyers en tenant compte :

a) du rendement équitable des capitaux investis pour les travaux, calculé, en règle générale, sur les 70% au maximum de leur coût et renté à un taux de 0,5 point au-dessus de l’intérêt hypothécaire de premier rang pratiqué par la Banque cantonale de Genève ; le taux de rendement est fonction de l’incidence dégressive des amortissements ;

b) de l’amortissement calculé en fonction de la durée de vie des installations, en règle générale dans une fourchette de dix-huit à vingt ans, soit de 5,55 % à 5 % ;

c) des frais d’entretien rentés en règle générale à 1,5 % des travaux pris en considération ;

d) des autres facteurs de hausse et de baisse à prendre en considération selon les articles 269 et suivants du code des obligations.

b. Répondent aux besoins prépondérants de la population les loyers accessibles à la majorité de celle-ci. Au 1er janvier 1999, les loyers correspondant aux besoins prépondérants de la population étaient compris entre CHF 2'400.- et CHF 3'225.- la pièce par année (art. 9 al. 3 LDTR). Conformément à la loi, ce calcul était fondé sur le revenu brut médian des personnes physiques (art. 9 al. 3 LDTR). Depuis le 26 août 2011, ces loyers sont compris entre CHF 2'536.- et CHF 3'405.- (art. unique de l'arrêté du Conseil d'Etat relatif à la révision des loyers répondant aux besoins prépondérants de la population – ArRLoyers – du 24 août 2011).

En l’espèce, le loyer qui résulte du calcul de rendement pour l'appartement de 6 pièces – dont la conformité à l'art. 11 al. 1 LDTR n'est au demeurant pas contestée – est de CHF 7'347.-/pièce par an (CHF 44'082.-/an, soit CHF 3'673,50 par mois, sans les charges), soit plus de deux fois supérieur au montant maximum de la fourchette fixée par l’ArRLoyers. Il ne répond pas aux besoins prépondérants de la population, au sens de l'art. 9 al. 2 let. b LDTR.

En revanche, l'immeuble comportant treize autres appartements dont le loyer est situé dans cette fourchette, il n'y a pas lieu de douter qu'il répond par son genre aux besoins prépondérants de la population au sens de l'art. 9 al. 2 let. c LDTR.

Il en va de même de la surface et du nombre de pièces de l'appartement à créer.

Selon l'art. 11 al. 2 LDTR, lorsque les logements répondent aux besoins prépondérants de la population quant à leur genre, leur typologie, leur qualité, leur prix de revient, le nombre de pièces ou leur surface, le loyer doit, après transformation, répondre aux besoins prépondérants de la population.

Ainsi qu'il résulte de la lettre de cette disposition, ces conditions sont alternatives.

L'appartement de 6 pièces à créer répondant sous plusieurs aspects aux besoins prépondérants de la population, son loyer doit également répondre à ces besoins, conformément à l'art. 11 al. 2 LDTR.

Cela ne signifie pas, cependant, que le loyer prévu ne peut pas dépasser le maximum de la fourchette fixée par l'ArRLoyers.

a. En effet, selon l'art. 9 al. 4 LDTR, la fourchette des loyers peut exceptionnellement être dépassée si la surface brute locative des pièces est importante.

b. Les mesures suivantes peuvent également être prises en compte (art. 9 al. 6 LDTR) :

– les mesures destinées à réduire les pertes énergétiques de l’enveloppe du bâtiment ;

– les mesures visant à une utilisation rationnelle de l’énergie ;

– les mesures destinées à réduire les émissions des installations techniques ;

– les mesures visant à utiliser les énergies renouvelables ;

Bien que la disposition précitée ne semble viser, à teneur de texte, que des appartements existants (la disposition indiquant que ces mesures peuvent être « répercutées » sur les loyers), elle concerne également les logements nouvellement créés. En effet, dans sa ratio legis, la LDTR ne protège pas, sous cet angle, que les investissements consentis dans la rénovation d'appartements existants (MGC 2001-2002/ VII A 2944ss).

La fourchette fixée par l'ArRLoyers peut enfin être dépassée si des « circonstances particulières » le justifient, « soit si la protection du patrimoine génère des coûts supplémentaires » (art. 9 al. 5 LDTR).

Contrairement à la surface brute, dont la loi précise qu'elle ne peut qu’« exceptionnellement » justifier un dépassement de loyer (art. 9 al. 4 LDTR ; MGC 2001-2002/ VII D/36 1938 ss), la notion de « circonstances particulières » de l'art. 9 al. 5 LDTR ne contient pas de mention semblable. Bien que l'usage du mot « soit » à l'art. 9 al. 5 LDTR plaide en général en faveur de l'exhaustivité des motifs énumérés à sa suite, cette disposition doit être interprétée comme ne visant pas exclusivement les coûts générés par la protection du patrimoine, sous peine de conduire à des restrictions trop sévères à la garantie de la propriété et à la liberté économique des propriétaires.

En effet, selon le Tribunal fédéral, quel que soit l'intérêt public que le législateur cantonal considère comme légitime pour limiter le droit de propriété des destinataires de la norme, il doit veiller à sauvegarder les facultés essentielles de disposition, d'usage et de jouissance qui découlent du droit de propriété et ne pas porter atteinte à la substance de celui-ci en tant qu'institution fondamentale de l'ordre juridique suisse (ATF 116 Ia 401 consid. 9a p. 414 ; Arrêts du Tribunal fédéral 1P.457/2000 du 21 décembre 2000 consid. 3 ; 1P.705/2000 du 24 septembre 2001 consid. 3b). Or, une stricte application de l'art. 9 al. 5 LDTR menace l'exercice de ces libertés en freinant démesurément les possibilités pour les propriétaires d'entreprendre des travaux de rénovation en raison de l'important écart existant aujourd'hui entre la réalité des coûts de la construction à Genève et la fourchette figurant dans l'ArRLoyers.

Dans sa jurisprudence, la chambre de céans a tenté de remédier à ces difficultés en admettant la conformité à l'art. 9 LDTR du loyer de logements à transformer répondant aux besoins prépondérants de la population lorsque le calcul du loyer effectué par le département apparaissait conforme à l'art. 11 LDTR. Dans l’ATA/313/2012 du 22 mai 2012, elle a ainsi admis que, répondait aux besoins prépondérants de la population un loyer de CHF 9'666.- par pièce par an (CHF 57'996.- par an, soit CHF 4'833.- par mois) pour des appartements de 6 pièces, respectivement de 112 m2 et de 126 m2, dont la création impliquait une surélévation de l'immeuble. Il en a été de même d'un loyer de CHF 11'549.- par pièce par an (CHF 69'298.- par an, soit CHF 5'774,80 par mois) pour un logement de 6 pièces d'une surface de 106 m2 (ATA/66/2013 du 6 février 2013 consid. 6).

Cette jurisprudence ne peut être maintenue. Les derniers loyers autorisés s'écartent en effet trop de la fourchette des montants figurant dans l'arrêté du Conseil d'Etat, faisant perdre peu à peu leur substance à ce dernier et à l'art. 9 al. 3 LDTR. Pour respecter la lettre de la loi et les buts poursuivis par la LDTR en cette période de grave pénurie sur le marché locatif, il convient de revenir à des loyers plus proches de cette fourchette en priant les propriétaires, soit de justifier leur loyer par l'un ou plusieurs des motifs figurant à l'art. 9 al. 4, 5 et 6 LDTR, soit de procéder à des travaux moins coûteux (lorsque le calcul opéré en vertu de l'art. 11 LDTR ne permet pas de parvenir à des loyers accessibles à la majorité de la population), soit encore de réduire leurs exigences de rendement.

Il convient ainsi de revenir sur la jurisprudence précitée, en redonnant à l'art. 9 al. 3 LDTR la place qui lui revient, étant précisé que le département dispose corrélativement d'une importante latitude de jugement dans l'interprétation de la notion des « circonstances particulières » visées à l'art. 9 al. 5 LDTR pouvant justifier un dépassement de la fourchette fixée par l'ArRLoyers.

Il résulte de ce qui précède que les loyers après travaux des appartements répondant par leur genre, leur typologie, leur qualité, leur prix de revient, le nombre de pièces ou leur surface aux besoins prépondérants de la population au sens des art. 11 al. 2 LDTR et 9 al. 2 et 3 LDTR, doivent respecter la fourchette fixée par l'ArRLoyers, un dépassement de celle-ci pouvant toutefois être justifié par l'un des motifs visés à l'art. 9 al. 4, 5 ou 6 LDTR.

En l'espèce, les surfaces de plancher du séjour (29,4 m2) et de la salle-à-manger (22,3 m2) de l'appartement dont la construction est envisagée peuvent être considérées comme importantes et justifier une augmentation du loyer maximum autorisée par l'art. 9 al. 3 LDTR, en application de l'art. 9 al. 4 LDTR.

S'agissant des circonstances particulières visées par l'art. 9 al. 5 LDTR, il y a lieu de tenir compte du coût accru notoirement lié à la création d'un appartement dans des combles.

Il ressort également du préavis du service de l'énergie du 18 janvier 2011 que des capteurs solaires thermiques couvrant au minimum 30 % des besoins en eau chaude sanitaire de tout le bâtiment devront être installés en toiture. Cet élément, en tant qu'il constitue une mesure visant une utilisation rationnelle de l’énergie au sens de l'art. 9 al. 6 LDTR, peut être pris en considération dans la mesure où il concerne l'appartement à construire, et justifier un dépassement exceptionnel du montant maximum figurant dans l'arrêté du Conseil d'Etat.

Si ces éléments justifient un dépassement de la fourchette fixée dans l'ArRLoyers, ils ne le permettent toutefois pas dans la mesure autorisée.

Un loyer dépassant de plus de deux fois le maximum fixé par l'ArRLoyers n'est accessible qu'à une minorité de personnes, contrairement à la lettre et aux buts visés par l'art. 9 LDTR et les circonstances particulières entourant la rénovation litigieuse ne justifient pas un tel écart.

Le grief de violation de l'art. 9 LDTR sera ainsi admis.

Quant aux loyers des appartements existants, ceux qui dépassent d'ores et déjà, avant travaux, la fourchette figurant dans l'arrêté précité, ne sont pas modifiés. Les loyers situés dans cette fourchette sont augmentés mais y demeurent, de sorte que l'autorisation est exempte de critique sur ce point.

Reste à examiner si la durée du contrôle desdits loyers, fixée à trois ans, est conforme à la loi.

Selon l'art. 12 LDTR, les loyers maximaux fixés dans l'autorisation sont soumis au contrôle de l’Etat, pendant une période de cinq à dix ans pour les constructions nouvelles et pendant une période de trois ans pour les immeubles transformés ou rénovés, durée qui peut être portée à cinq ans en cas de transformation lourde.

En l'espèce, les travaux envisagés sont importants, ainsi qu'en témoigne leur coût (CHF 1'029'300.-). Ils ne concernent par ailleurs pas que la façade et la toiture de l'immeuble, mais également les parties communes de l'intérieur du bâtiment. Ils ont des répercussions importantes sur les loyers situés dans la fourchette des loyers répondant aux besoins prépondérants de la population (augmentation de CHF 250.- à CHF 850.-/pièce par an environ), cette catégorie supportant seule le coût de la totalité des travaux.

Vu leur importance et leur impact sur lesdits loyers, ces travaux doivent être qualifiés de transformation lourde au sens de l'art. 12 in fine LDTR.

Cela signifie que le département avait la compétence, dans l'exercice du pouvoir d'appréciation que lui confère l'art. 12 LDTR, de fixer la durée du contrôle à cinq ans.

Selon l’art. 61 al. 1 LPA, qui circonscrit le pouvoir de cognition de la chambre de céans, un recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). Les juridictions administratives ne sont en revanche pas compétentes pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA).

Abuse de son pouvoir d'appréciation, notamment, l'autorité qui viole le principe de la proportionnalité en prenant une mesure qui n'est pas apte (principe d'aptitude) ou adéquate (principe d'adéquation) pour atteindre les buts d'intérêts publics poursuivis par la loi.

Ainsi qu'exposé ci-dessus, la LDTR a pour but de préserver l’habitat et les conditions de vie existants ainsi que le caractère actuel de l’habitat dans les zones visées expressément par la loi (art. 1 al. 1 LDTR) et à éviter la disparition à long terme de logements à usage locatif (Arrêt du Tribunal fédéral 1P.406/2005 du 9 janvier 2006 consid. 3.3).

En l'espèce, le département a opté pour une durée de contrôle trop courte, eu égard au fait que les frais de la totalité des travaux sont répercutés uniquement sur les treize appartements dont les loyers sont situés dans la fourchette de ceux répondant aux besoins prépondérants de la population (art. 9 al. 3 LDTR), ce qui a pour effet de les toucher gravement, alors que la LDTR a précisément pour mission de les protéger.

La loi impose, dans un tel cas, de porter la durée du contrôle à cinq ans.

Le recours sera en conséquence partiellement admis.

Aucun émolument ne sera mis à la charge du département (art. 11 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de M. Mori qui a appuyé les conclusions du département. Une indemnité de procédure de CHF 1’000.- sera par ailleurs allouée à l’ASLOCA qui obtient gain de cause, à la charge de l’Etat de Genève pour CHF 500.- et de M. Mori pour le même montant (art. 87 LPA).





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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 7 juin 2012 par l'Association genevoise des locataires contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 24 avril 2012 ;

au fond :

l'admet partiellement ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 24 avril 2012 et l'autorisation de construire n° DD 104'054-2 ;

renvoie la cause au département pour nouvelle instruction et décision dans le sens des considérants ;

met à la charge de Monsieur Daniel Mori un émolument de CHF 1'000.- ;

alloue à l'Association genevoise des locataires une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à charge de l'Etat de Genève pour CHF 500.- et de Monsieur Daniel Mori pour CHF 500.- ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Christian Dandres, avocat de la recourante, à Me Yves de Coulon, avocat de Monsieur Daniel Mori, au département de l'urbanisme, ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.


23/10/2013

Tags : Genève, LDTR

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